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Plateau

Carnets. Monde rural. Paysages. Enfance.

Kim Wilde et les filles de Lamalayrède

Kim Wilde et les filles de Lamalayrède

Des voix s'élèvent, douces et remplies de mots pointus, oui, des voix s'élèvent comme ça dans le soir. Le jour baisse. Mon fils rentre d'une longue balade en vélo. Sa sœur caresse de son regard, fièrement campé au centre exactement de l'adolescence, le jardin où les chats, leur rousseurs espiègles d'automne déjà candidates à leur propre succession, miaulent après les limaces. Je les revois tous. Leurs visages d'ivoire doré se détachent dans le soleil couchant brouillé de pluie. Audrey, Garance, Charles, Olivier, Benoit, Laurent et mon frère. Au casque déroule une sorte de compil des chauffeurs routiers. Des standards folk et country faits pour tailler la zone à travers les grands espaces de la mélancolie. La mélancolie, nul ne saurait y échapper, ni même pouvoir faire sans. Le Plateau, la haute montagne qui le cerne en arrière fond, et d'abord les collines d'aspect plus modeste mais toutes hérissées de sapins protégeant, mieux que les créneaux d'une forteresse, cette étendue de hautes plaines, le Plateau c'est cet espace absolument mélancolique...

 

Plus tard, c'est à dire le lendemain matin, aux alentours de 7 h, Papa fait grincer le portail. Les vaches quittent l'étable, une à une, après un dernier regard vers leurs veaux. Les veaux essayent d'adopter une attitude digne mais rien ne leur vient. Enfant, je me souviens m'être dit que si ces bêtes avaient la ressource du langage – bien sûr pas dans ces termes-là -, alors dans ces moments particuliers de la séparation, le dialogue pourrait peut-être remplir cet intervalle - portail. Aboiements du chien. Lâcher en débandade de la volaille -, oui, cet intervalle de silence pénible entre ces veaux et leurs mères... 

 

Nous avions envie de nous promener, encore et encore, dans les chemins forestiers qui dégringolent du hameau de la Lamalayrède dans les touffeurs des bois - il arrive que la mousse lorsqu'elle s'accroche aux branches des chênes comme elle le fait jusqu'à les recouvrir totalement par endroits, il arrive que la mousse vous mette des idées de jungle dans la tête - pour mieux remonter ensuite vers des points de vue d'où les vallées lointaines d'Aude et d'Ariège se laissent entrevoir avec la timidité des perspectives fuyantes. Ainsi fut. Ainsi fut fait. Personne sur la petite route qui serpente depuis Belvis - ça peut vouloir dire « Belle vue » en patois. Ce bas occitan qui vous toque parfois le cœur comme une chanson toscane- jusqu'à Lamalayrède, personne donc à l'exception d'un cycliste, la silhouette aussi sèche qu'une résolution du mois de janvier mais là écrasée sous cette moiteur aoûtienne de bayou, on aurait dit un pèlerin de Compostelle cuirassé d'angoisse fluo parce que, justement par ici, les faux-plats creusent l'estomac pour de vrai. Le cyclisme, tout le monde le sait, est une religion et encore faut-il que vos mains sachent s'accrocher en haut du guidon avec la ferveur de ceux qui espèrent encore être sauvés. Tout le monde sait ça. Même moi, je le sais. A nos débuts dans la vie, Audrey, Garance, Charles, Olivier, Benoit, Laurent et mon frère, aussi savaient ça...

 

Et nous roulions, tous en vélo, vers le hameau de Lamalayrède. Ce devait être au milieu des années 80. Je ne sais plus laquelle-lequel d'entre nous avait ce walkman aux oreilles oranges continuellement vissé sur la tête. Peut-être que je viens d'inventer ce détail, juste pour faire « joli ». Ce dont je me suis souvenu, alors qu'on se promenait, encore et encore, dans ces sentiers forestiers, c'est bien de nos excursions en vélo, vers là-bas. L'autoradio de mon oncle déversait des refrains Pop d'autrefois. « Don't make a new story...don't grab any glory...We're the kids in America… » Kim Wilde. Les garçons de notre petite bande devaient sans doute penser que les filles de Lamalayrède, que nous allions retrouver, chaque après-midi, de façon à ce que nos cœurs se remettent à tourner comme une disco mobile, étaient des sœurs cadettes ou des cousines germaines de Kim Wilde. Pour autant que je m'en souvienne, elles étaient brunes, ces filles. Mais ça ne faisait rien. Alors oui, sans doute...

 

Des voix s'élèvent et elles reviennent me chercher en me prenant par la main. Parfois, il faut savoir se laisser faire...

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